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Art baroque

26 février 2024

Si le baroque m'a conquis aussi vite, c'est d'abord dans la rue... - article publié le 7 mai 2006

Napoli rue
Naples, ville réfractaire à l'ordre bourgeois (D. Fernandez)

 

 

Si le baroque m'a conquis aussi vite,

c'est d'abord dans la rue...

Dominique Fernandez

 

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La vraie Naples se tapit dans les boyaux obscurs de Spaccanapoli...

 

Immédiat, omniprésent, assourdissant, répercuté dans les couleurs du marché, dans les cris de la rue, dans le tohu-bohu et le vacarme d'un labyrinthe de cours, de venelles, de grottes, de souterrains, le baroque nous saute ici à la gorge. Tout, à Naples, ville réfractaire à l'ordre bourgeois, est baroque : les quartiersspaccanapoli bourboniens de Spaccanapoli, populaires de Toledo et de la Sanità, aristocratiques de Pizzofalcone et de Chiaia, la centaine de palais, les 257 églises, les 57 chapelles réservées aux vêpres, les 182 chapelles de confréries, les 52 monastères d'hommes, les 24 couvents de femmes. Mais d'abord le sentiment même de la vie, la fragilité psychologique des habitants, la mémoire héréditaire des éruptions volcaniques et des tremblements de terre, la peur de la mort, la gesticulation, la théâtralisation de chaque moment de l'existence. Il n'y a pas jusqu'au système économique des Napolitains, ce refus de mettre de côté, cette avidité à jouir tout de suite, cet état permanent de crise et de rupture, cette insécurité voulue autant que subie, qui ne trahisse leur goût du précaire, de l'instable, du labile. 

                                                                                                                                                                             Spaccanapoli

 

 

Le hasard, jadis, m'avait amené à Naples, lorsque, imbu de culture française et victime d'une éducation puritaine, j'étais encore hérissé de préjugés contre l'art et la civilisation baroques. Emphase, enflure, perversion du goût, bâtardise, c'est ainsi qu'on jugeait à Paris, il y trente ou quarante ans, les siècles de Bernini et des frères Asam. Une condamnation à la fois esthétique et morale, qui visait aussi bien l'exubérance des formes que l'excès de la dépense. Au début de mon séjour à Naples, qui dura sept mois, ces préventions m'empêchèrent d'apprécier la beauté de cette ville. Puisque c'était fastueux et hors de toute mesure, ce ne pouvait être que de qualité inférieure.

 

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Bernini et l'un des frères Asam

 

Je m'obstinais à me promener le long de la mer et à contempler la baie, sans me rendre compte que la vraie Naples tourne le dos au rivage. Il mare non bagna Napoli, selon la formule de la romancière Anna via_tribunaliMaria Ortese. La vraie Naples se tapit dans les boyaux obscurs de Spaccanapoli et de Montecalvario, via dei Tribunali et via Arena, piazza del Mercato et piazza Dante. J'avais trouvé à me loger dans le magnifique palais Cellamare («Ciel et mer»), qui marque la frontière entre la Naples aérée, maritime et bourgeoise des quartiers plus européens, et la Naples touffue, étouffante, orientale des quartiers baroques. En sortant, je me dirigeais à droite vers les pins de la riviera di Chiaia, les beaux jardins en bordure de la mer et les effluves balsamiques du large. Bientôt, cependant, l'autre côté m'attira, la via Chiaia, Toledo, la ville bourbonienne, le dense et gluant glacis d'entrailles enchevêtrées.

 

via Tribunali

 

Je ne fus pas long à être saisi, séduit, ravi. Grâce à l'amitié de quelques Napolitains qui me servirent d'initiateurs, grâce aux soirées d'opéra au San Carlo, àsancarlo_1 force de flâner et de regarder les gens autour de moi, en constatant que leur manière de vivre, inconcevable pour un Français, les rendait plus heureux en eux-mêmes, plus amusants pour les autres, plus riches de vitalité et de drôlerie, je compris que j'étais entré dans un monde nouveau, sans rapport avec celui que j'avais connu, et qui m'apportait des émotions, des plaisirs, un bonheur jusqu'alors interdits. Si le baroque m'a conquis aussi vite, c'est d'abord dans la rue, par la rue, par les cris et les gestes de la rue, par le spectacle de la fête permanente qu'est la rue napolitaine. Une ville-théâtre, agitée, fiévreuse, volubile, et qui s'est créé en harmonie avec l'idiosyncrasie de ceux qui l'habitent, un décor architectural lui-même bouillonnant.

Dominique Fernandez, La perle et le croissant. L'Europe baroque de Naples à Saint-Pétersbourg,
Terre humaine, Plon, 1995, p. 9-10

 

 

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 Dominique Fernandez

 

Gianlorenzo BERNINI (1598-1680)

Cosmas Damian ASAM (1686-1739)

Egid Quirin ASAM (1692-1750)


 

 

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Place et église du Vieux Marché

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7 mai 2006

Historiographie du baroque

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Historiographie du baroque



Pendant longtemps, le baroque a été une réalité artistique sans nom, en tout cas sans le nom de "baroque". L'historien d'art, Émile Mâle publiait ainsi en 1931 son Art religieux après le Concile de Trente sans mention du mot "baroque". Puis ce terme connut un usage inflationniste, porté par la séduction qu'exerçat le livre d'Eugenio d'Ors paru en 1932. La réinscription historique de l'art baroque fut notamment l'oeuvre de Victor-Lucien Tapié, professeur à la Sorbonne avec son livre Baroque et classicisme (1957).

 


 

les principaux historiens du baroque


Émile Mâlemale
(1862-1954)

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Émile Mâle, considéré comme le "fondateur de l'histoire de l'art médival en France", fit paraître en 1932 son ouvrage L’Art religieux après le concile de Trente (dernière édition : Armand Colin, 1984) qui était le premier à réhabiliter l'art baroque souvent qualifié de dégénérescence de l'art renaissant. Marc Fumaroli lui accorde la prééminence chronologique dans l'appréciation savante du baroque : "Ce qui manquait d'érudition aux Goncourt et à Baudelaire, ou encore au Barrès de Greco ou le secret de Tolède, qui poussait le coup d'oeil jusque dans l'Espagne catholique, fut admirablement dispensé au public cultivé par Émile Mâle, en 1942, dans son Art religieux après le Concile de Trente, sans qu'il eût à recourir au grimoire «baroque». Un quart de siècle plus tard, un historien qui à tant d'égards appartenait à la tradition de distinction intellectuelle et de goût châtié d'Émile Mâle, ne pouvait faire autrement, en dépit de réserves visibles, que de recourir dans son titre même au mot «baroque» [Victor-Lucien Tapié, 1957]." (préface à Baroque et classicisme, 1979, éd. Hachette-Pluriel, 1980).

 

Eugenio d'Orsyy_eudo
(1881-1954)

 

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critique des thèse d'Eugenio d'Ors

Dominique Fernandez : (...) Tendance à la discipline, à la règle. Il faut insister sur ce goût, car on l'a trop longtemps méconnu. Eugenio d'Ors, le philosophe espagnol qui est le premier à avoir réhabilité le baroque dans son essai de 1935 (Du baroque) contribua à accréditer l'idée d'un art spontané, vitaliste, panthéiste, anti-intellectuel, anti-autoritaire. "L'attitude baroque souhaite, d'une manière fondamentale, l'humiliation de la raison". Non, non et non ! Pour écrire une telle phrase, il fallait n'avoir jamais regardé Borromini, Guarini, Pozzo en Italie, Puget en France, Zimmermann en Allemagne, n'avoir jamais entendu une fugue de Bach ou une sonate de Scarlatti. Nous savions, depuis Rome, qu'une partie de l'art baroque a prolongé l'idéal de rigueur et de pureté de la Renaissance, mais ici, c'est le rococo lui-même qui nous semble participer à la défense de la pensée rationnelle, malgré l'extrême fantaisie dans le plan et dans les détails.

Dominique Fernandez, La perle et le croissant.
L'Europe baroque, de Naples à Saint-Pétersbourg
, Plon, 1995, p. 216.

 

 

Victor-Lucien Tapiévictor_lucien_ta___photo
(1900-1974)

 

 

 

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Pierre Charpentratcharpentrat_baroque1

1964

Baroque

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Germain Bazinbazin_2
(1901-1990)
Germain Bazin était conservateur, chef du service de restauration des peintures au Louvre jusqu'en 1971. Il est l'auteur de Destins du baroque publié en 1970.

 

 

 




Baroque et opéra

 

questions posées aux historiens de l'art

par l'écrivain Dominique Fernandez

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Une fois qu'on a rendu à la Contre-Réforme et en particulier aux Jésuites leur juste part dans la propagation de l'art baroque, on reste fort embarrassé pour comprendre la diffusion de ce style en Apulie, en Sicile, à Naples, en Pologne, régions à l'abri de la menace protestante, et surtout en Russie, où l'Église byzantine s'était séparée de Rome dès le XIe siècle. Saint-Pétersbourg est une des plus somptueuses capitales baroques d'Europe, bien qu'exempte de toute influence catholique.
L'explication par le politique ne permet pas non plus de répondre à une question que les historiens de l'art, trop cantonnés dans leur département, ne se posent jamais : ni le fondamental Wölfflin, ni Tapié, auteur de l'ouvrage de référence, Baroque et classicisme, ni Wilhem Hausenstein, dans Vom Genie des Barock, ni Germain Bazin, dans Destins du baroque, ni Pierre Charpentrat, qui a le premier tracé une carte du croissant baroque dans Baroque, ni aucun des autres érudits dont les travaux plus ou moins récents ont considérablement augmenté notre connaissance de cette époque. Pourquoi les terres où ont pris leur essor les arts plastiques baroques, architecture, sculpture, peinture, sont-elles les mêmes exactement qui ont vu naître et triompher l'opéra ? En vain interrogerait-on les spécialistes de l'art lyrique : mués eux aussi dans leur domaine, ils n'ont jamais songé à faire le rapprochement entre Zimmermann et Mozart, entre Bernini et Monteverdi, entre le jaillissement des vocalises et le flamboiement des stucs.

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Bernini et
Monteverdi

 

 

 

canaletto__glise_saluteRouvrons la carte de l'Europe : quelles sont les capitales de l'opéra dès le XVIIe siècle ? Ni Paris, ni Londres, ni Berlin, mais Naples, qui devint une officine de castrats, mais Venise, où s'est installé Monteverdi et où, dès 1637, pendant que Longhena construit la belle église baroque de la Salute (ci contre, tableau de Canaletto), le premier théâtre public d'opéra, le San Cassiano, ouvre ses portes. À Rome, ce sont les Barberini qui, dans leur palais complété par Bernini en 1624 et que Pietra da Cortona orne bientôt de fresques, créent en 1632 une salle privée, à deux pas de la fontaine du Triton terminée par Bernini en 1630.

Dominique Fernandez, La perle et le croissant.L'Europe baroque
de Naples à Saint-Pétersbourg
, Plon, 1995, p. 130-131.

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fontaine du Triton à Rome, Bernini

 

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au théâtre San Cassiano de Venise, en 1729ric_bor_sen

 

 

sur les théâtres d'opéra à Venise durant l'époque baroque,
voir le
site de Jean-Claude Brenac



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théâtre du Palazzo Real à Naples, en 1729




 

 

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